Le peuple Aka : "pygmées" de Centrafrique
Le terme « pygmée » a été créé par les Européens au XIXe siècle (à partir du grec pugmaios, qui signifie « haut d’une coudée »). Jugé péjoratif dans certains pays, il est préférable d’utiliser les noms des ethnies concernées (1). Ces peuples occupent une partie de la forêt équatoriale du bassin congolais. Les plus connus sont les Mbenga (Aka et Baka) du bassin occidental du Congo qui parlent les langues bantoue et oubangienne ; les Mbuti (Efe) de la forêt tropicale d’Ituri liés aux langues bantoue et centrales du Soudan ; les Twa des Grands lacs qui parlent le bantou Rwanda-Rundi.

©Frank Tenaille, 2021
(1) Selon Robillard et Bahuchet, "ce terme englobant, « Pygmée », artificiellement créé par les Européens durant le 19e siècle (en référence à la taille à partir du grec ancien pygmè, « la coudée »), apparaît comme une catégorie trompeuse utilisée pour désigner toute population de forêt, de faible stature et à mode de vie mobile. (...) Pendant longtemps l’emploi du terme « Pygmée » faisait référence à la stature, supposée plus faible que celle des autres populations, et ce malgré les grandes différences qui existent entre les divers groupes (Froment 1993). Actuellement, ce caractère physique est délaissé, au profit d’éléments liés au mode et au milieu de vie." (Robillard et Bahuchet, 2012)
Ouvrages cités :
Marine ROBILLARD et Serge BAHUCHET, « Les Pygmées et les autres : terminologie, catégorisation et politique », Journal des africanistes [En ligne], 82-1/2 | 2012.
Susanne FÜRNISS, « Musiques aka et baka : une parenté de référence », Journal des africanistes [En ligne], 82-1/2 | 2012
La création musicale N'Bimbenzele
N’Bimbezele. Cela signifie « les gens qui ne se connaissent pas et qui jouent de la musique ensemble ». C’est le nom de cette création qui s’appuie sur un corpus des chants polyphoniques pygmées Aka. Le compositeur Camel Zekri travaille depuis 1999 avec ce groupe de la forêt de la Lobaye en Centrafrique. Ensemble, ils ont constitué ce répertoire après des années de recherche. Un répertoire de chants qui décrivent scènes de vie quotidienne, de chasse ou de cueillette.
Si la base est traditionnelle, cette création interroge la polyphonie et l’utilisation d’instruments autochtones dans un contexte contemporain. Cette création est une première car elle rassemble l’instrumentarium complet des pygmées Aka. L’harmonie qui se dégage de cette création trouvant sa source dans la relation qu’entretient ce peuple avec la nature.
N'Bimbezele nait de plusieurs années d'étapes de travail qui ont abouti à une résidence de création en mai 2018 au Chantier avec :
Camel Zekri • arrangements, guitare, percussion
Prosper Kota • chant, nzéké nzéké (sonnailles), mokinga
Jean Pierre Mongoa • chant, gbongongo (harpe), mokinga
Honoré Gbako • chant, percussion, arc en bouche, mokinga
Herman Niamolo • assistant
Voici un extrait d'un concert de Camel Zekri et les Aka en 2014 :
La musique et la vision du monde Aka
(extrait du dossier de Les Arts Improvisés, production du spectacle)
Les voix
Les Pygmées peuvent chanter en voix de basse, baryton ténor (kingo-ékoké), en voix de tête (kingo-ékélélé), ou combinant les deux en créant une sorte de double voix dans la polyphonie vocale existante. Les polyphonies kiogo-ékoké étant réservé aux hommes celle du kingo-ékélélé étant partagé entre les deux sexes. La voix médium (ndiyengué) étant un espace qui appartient aux femmes.
Les instruments et le rythme
Les chants des musiciens Aka, parlent de la vie en forêt. Ils décrivent des scènes de chasse, font des louanges aux meilleurs chasseurs, avertissent le village qui partagent le gibier dans la joie. C’est le Mo-mbété (flûte) qui entonne la mélodie que reprennent en chœur chasseurs et villageois. Avec le mbongongo (harpe) les paroles abordent la beauté des femmes sur des airs courtois. Le prétendant apporte la dote et demande l’approbation des parents. Ceux-ci, s’ils considèrent l’homme apte à protéger leur fille, lui accorderont sa main.
Les mokinga sont les tambours qui transmettent les messages pour avertir les villageois qui sont en forêt d’un malheur qui est arrivé au village. Auquel cas, tout le monde revient rapidement. Il est aussi utilisé pour les funérailles afin de libérer les forces du mort. Les totems du défunt sont alors transmis à son héritier. C’est sur ces paroles fondamentales et universelles de la culture des pygmées Aka, que le répertoire prend sa source. Avec l’urbanité qui rencontre la forêt, la sagesse ancestrale des Aka sert de socle et de repère à la société. L’harmonie qui se trouve dans la relation entre les hommes, la nature, prend une force lumineuse face aux valeurs en mouvement de la modernité.
Entre leur forêt nos villes et nos campagnes
La musique, ce n’est pas tout. Il y a la vie et là où nous vivons. Et ne pas découvrir cela lorsqu’il s’agit des Pygmées, c’est perdre quelque chose d’essentiel. De même que pour eux, il est nécessaire de voir nos territoires de vie. Sans cet échange, la rencontre ne saurait exister. Le fait de nous rencontrer là où nous vivons, ville ou campagne permet un équilibre dans la relation et la possibilité de parler de tout ce que nous ressentons, nos troubles comme nos incompréhensions... chacun le disant à sa manière, chacun le comprenant à sa manière. Chez eux, aujourd’hui il y a la forêt mais aussi la déforestation avec la cupidité des grandes sociétés et d’Etats complices. Leur milieu se dégrade. Leur culture s’efface petit à petit. Et certains villages n’ont plus de pratiques de chants et de danses. Et les textes censés défendre leurs droits n’arrivent pas au cœur de la forêt.
Aussi c’est une aubaine pour eux, de voyager à l’étranger pour se présenter, pour dire qui ils sont. Ils sont les dépositaires d’une des plus anciennes civilisations du monde qui a côtoyé la grande civilisation de l’Egypte antique. Ils ont aussi une des plus grandes connaissances pharmacopées de la planète, et ils ont inventé une polyphonie libre, ouverte, généreuse et universelle où la hiérarchie n’existe pas. Et par la création, la composition et l’invention, ils affirment leur appartenance à la modernité. Ainsi d’une manière pacifique, ils nous disent que nous appartenons tous, humains, animaux et plantes à la culture universelle de la planète terre.
Discographie sur la musique centrafricaine
Les polyphonies
Musique fonctionnelle (cueillette, chasse, deuil, naissance...) liée à leur vie sociale et spirituelle, la musique des Pygmées est fort reconnaissable. Sa polyphonie complexe et fondée sur l’usage de plusieurs techniques difficiles comme que le yodel (alternance de voix de poitrine et de voix de tête), l’ostinato (répétition de formules rythmique ou mélodique) et le hoquet (tuilage). Elle se caractérise aussi par sa grande liberté d’exécution, chaque participant étant autonome tout en obéissent à des modalités collectives strictes. C’est à dire aux contraintes métriques, mélodiques et rythmiques du chant.
Cette polyphonie complexe naissant fondée de l’entrelacs de voix qui se croisent, se superposent, selon une structure dans laquelle chaque ligne mélodique peut se développer indépendamment des autres. L’ensemble se tissant de répétitions, sans cesse variées et enrichies, d’un motif de base. Selon Simha Arom, le musicologue qui l’a le plus étudiée, cette musique est tout à fait comparable, aussi bien par sa complexité rythmique que par ses règles qu’à certaines formes savantes qui avaient cours en Europe entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle.
Véritables opérations de cohésion du groupe, les chants pygmées comptent aussi des chantefables (contes chantés / parlés) à vocation éducatrice ou symbolique, des chants liés aux rituels divinatoires et thérapeutique. Quand aux instruments de la musique pygmée tirés de la forêt, souvent légers et éphémères, ils comptent tambours à fente, sifflets, arcs, harpes à trois cordes, flûtes, trompes.
©Frank Tenaille, 2021
Pygmées Baka, le grand virage
Film documentaire sur la vie des pygmées Baka du Cameroun
Chasseurs cueilleurs semi-nomades, les Pygmées ont développé des modes de vie intégrés au cœur de la forêt. Celle-ci constitue leur milieu naturel et leur univers et façonne leur civilisation. Elle est leur Mère nourricière et leur a fourni tout ce dont ils avaient besoin jusqu’à ce jour.
Désormais, la forêt est livrée à une exploitation effrénée. L’épuisement des ressources de la biodiversité détruit leur culture et les sédentarise. Leur mode de vie traditionnel va disparaître. Comment les Pygmées Baka vont-ils s’adapter ?
Un film écrit et réalisé par Laurent Maget, Cnrs
Conseillers scientifiques : Alain Froment, médecin et anthropologue IRD et Fernando V. Ramirez Rozzi, anthropologue Cnrs
Image, son et montage : Steeve Calvo
Conteur : Kallo Pierre
Musique : Chris Heyward
VF, 39 minutes
Production : Cnrs Images et IRD, 2013