Le chant diphonique
Le chant diphonique se caractérise par l’émission conjointe de deux sons. Le premier, son fondamental ou bourdon, dans le grave, est tenu à la même hauteur tout le temps d’une expiration. Le second, plus mobile dans l’aigu, dit son harmonique, varie au gré du chanteur. Ce son harmonique ayant un timbre proche de celui de la flûte (voix flûtée) ou de la guimbarde. Cette technique est répandue en Haute-Asie chez les Mongols, Touvas, Bouriates, Khakash, Bachkirs, Altaiens. On la retrouve aussi chez les femmes Xhosas d’Afrique du Sud ou les moines tibétains comme ceux de Gyoto. Les Mongols et les Touvas identifient de cinq à six types de chant selon que le chant est nasal, pharyngé, thoracique, abdominal, dental ou que le bourdon va du plus grave au plus aigu.
©Frank Tenaille, 2021
Le khöömii : chant diphonique de Mongolie

Un interprète de chant diphonique se doit de bien utiliser les différents organes nécessaires au chant : pharynx, cordes vocales, cavité buccale, langue, lèvres et cavité nasale.
Les bons chanteurs de khöömii sont capables de modifier leurs fréquences en adoptant leurs résonateurs, c’est à dire le volume de la cavité buccale, l’ouverture de la bouche, la position des lèvres.
Cette troisième voix s’assimilant plus au contre-chant de la guimbarde.
- xamryn xöömi (khöömii de nez)
- bagalzuuryn xöömi (khöömii de gorge)
- tseedznii xöömi (khöömii de poitrine)
- kevliin xöömi (khöömii de ventre)
- xarkiraa xöömi (khöömii narratif avec un fondamental très grave)
- isgerex (la voix de flûte dentale)
© Frank Tenaille, 2021
Chant diphonique et vertus thérapeutiques
Le khöömii mongol et le chant diphonique en général auraient des vertus thérapeutiques.
Des expériences faites par des docteurs et musiciens ont montré qu’il existait une relation entre musique et santé mentale ou physique. Lorsqu’il est utilisé à ces fins, le khöömii a pour objectif de rétablir la concentration et l’équilibre psychologique. Cet objectif est très proche des pratiques chamaniques et des chants tibétains.
Le chamane pouvant avoir des fonctions thérapeutiques, météorologiques, de psychopompe (qui consiste à « guider les âmes des morts jusqu’à leur dernière demeure afin de les neutraliser »), utilisant comme instrument privilégié le tambour sur cadre. Ce type de chant aurait, par exemple, des effets concrets sur le bégaiement, les sensations de blocage dans la gorge, la confiance en sa voix, l’inhibition, les troubles respiratoires, l’anxiété, la fatigue, la douleur physique pendant l’accouchement, etc. Et ces effets n’affecteraient pas seulement les humains mais également les animaux.
©Frank Tenaille, 2021
Nikolaï Oorzhak : le son du soleil
Chaman et maître de chant diphonique mongol
Après son service militaire, il entre à l’Institut de la culture d’Oulan-Ude avant de devenir directeur du Théâtre national participant à de nombreuses productions s’inspirant de l’héritage folklorique. C’est après avoir ressenti des maux de tête et des malaises qu’il fit appel à un guérisseur célèbre et chaman, Tyva Oleg Toyduku, lequel le soigna et lui affirma que sa vocation était de devenir un chaman. C’est ainsi qu’il découvrit que sa famille comportait une lignée de chamans (un statut qui était caché à l’époque soviétique).
Nikolaï Oorzhak a été en résidence de création au Chantier - Centre de création artistique (Correns) en mars 2018.
Techniques du chant diphonique
Comme tout instrument de musique, l’appareil phonatoire se compose d’un système excitateur, le larynx, et d’un corps vibrant chargé de transformer l’énergie reçue en rayonnement acoustique : le conduit pharyngo buccal.
Le larynx délivre un spectre harmonique, le son laryngé primaire, déterminé en fréquence et d’allure homogène, et dont la richesse en harmoniques varie en fonction de la structure vibratoire des cordes vocales.
Ce son traverse les cavités pharyngo-buccales et y subit d’importantes distorsions, le pharynx et la bouche se comportant comme des résonateurs.
Les paramètres déterminant la fréquence des cavités phonatoires varient en fonction de la mobilité de la mâchoire, de l’ouverture de la bouche, de la position de la langue.Celle-ci peut diviser la cavité buccale en deux résonateurs de plus petit volume, donc de fréquence propre plus élevée.
En d’autres termes, les cavités buccales peuvent se comporter en résonateurs même pour des harmoniques très aigus.
L’émission diphonique consiste pour le chanteur à émettre un spectre riche en harmoniques puis à accorder finement une cavité phonatoire sur l’un des composants de ce spectre.
©Frank Tenaille, 2021
La vocalité dans la musique mongole
⇒Chants épiques (Tuuli). Chants très longs qui évoquent la geste mythologique de la steppe dans le cadre de rituel. Ils sont dépendants de la poésie et sont accompagnés au luth ou à la vièle.
⇒Chants Magtaal. Chants de louanges à caractère religieux ou chamanique répandus dans l’Altaï. Cet hommage aux esprits s’accompagne au morin khuur et les parties vocales sont entrecoupées de chants diphonique khöömii.
⇒Chants diphoniques (khöömii). Basés sur un son fondamental (le bourdon) sur lequel, grâce à un placement des lèvres, de la langue, ou des cavités respiratoires, des harmoniques (jusqu’à plus de quarante) se combinent, formant une mélodie à deux voix (voire trois). Il sont utilisés en temps de fête. Appelés aussi chakkur, ils imitent le son de la guimbarde.
©Frank Tenaille, 2021
Pour aller plus loin
♦ Texte : Recherches expérimentales sur le chant diphonique, par Hugo Zemp et Trân Quang Hai, 1991
♦ Texte : L’institutionnalisation du khöömii en Mongolie, par Johanni Curtet, 2020
♦ Film : Le chant des harmoniques, par Hugo Zemp, 1989
♦ Film : Voyage en Diphonie, par Jean-François Castell, 2018
Web série "Les maîtres du chant diphonique"
ADEM, 15 avril 2016 - Dans le cadre de la tournée "Anthologie du khöömii mongol", extrait du concert "Joutes vocales, grands maîtres du chant diphonique"